C’était il y a deux semaines environ. Gare de Plaisir-Grignon, vers 18h. Le hall était vide. Le distributeur de boissons et victuailles était le seul à prendre la lumière, cela lui donnait presque un charisme de vedette. Je l’ai regardé. Il m’a regardé. En son sein, une star de mes années fac : le sachet de chips Lay’s au barbecue. Un sacré personnage, qui m’a accompagné de nombreuses fois dans mes trains de retour vers les Yvelines. Montparnasse-Plaisir-Grignon, Montparnasse-Plaisir les Clayes, Montparnasse-Villepreux, tout ça. J’ai eu envie d’en taper un, en souvenir du bon vieux temps. Et puis c’était l’heure de l’apéro après tout. Et puis pourquoi pas. Je suis donc allée demander mon vieux pote à la machine et je l’ai entamé.
Dès la première chip, une foule de sensations et de souvenirs sont remontés à la surface. D’abord, la texture fine qui craque vite sous la dent. Puis le parfum chimique de cette saveur inégalée sur la langue (ne me parlez pas d’autres goûts de chips svp) (bon ok dérogation spéciale pour les Pringles Sour Cream & Onion, mais c’est tout, négociez pas). Enfin, une cohue d’images des années 2000 dans ma tête.
Les quais de trains. Plaisir-Versailles, Versailles-La Défense, La Défense-Nanterre. Les correspondances ratées, les trains annulés, les cours magistraux déjà commencés. Les quais la nuit le matin tôt, les quais la nuit le soir tard, après le cours de grec de 18h30-20h30. Les couloirs de la fac, les journées sans pause dej, les après-midi à la BU, la queue devant les photocopieuses du Centre Pompidou, les photocopies surlignées dans le train. Les escapades à Paris, les visites de galeries d’art découvertes dans 20 Minutes. Les mots fléchés dudit 20 Minutes faits dans le RER (ou durant l’option art précolombien). Les virées à la bibliothèque Forney, les livres demandés sur des petites fiches. Les mille métros pour aller à Montparnasse pour rentrer à la maison. Mon job à La Carterie. Promener le chien dans la résidence. Le Centre Commercial les 4 Temps La Défense, le temps passé chez Zara et H&M au lieu d’aller en cours d’art vidéo. Les escarpins roses achetés suite à ma rupture avec le théâtreux. Les CM, les TD, le bâtiment D, les options choisies au secrétariat. Ecouter de la musique dans un mp3. La carte d’étudiant. La carte Imagin’R.
Tous ces allers-retours entre chez moi et la fac, la fac et chez moi, la fac et La Carterie, La Carterie et chez moi ont été ponctués de nombreux encas. Des croissants, des pains au chocolats, des sandwichs de La Brioche Dorée, des sandwichs de chez Paul, des Mcdo à la pelle, des Kinder Bueno….mais aucun, AUCUN, n’a autant compté que le sachet de chips Lay’s saveur barbecue du distributeur. C’était mon goûter, mon dîner, mon compagnon de rentrage. Celui qui comblait mes petits creux, celui avec qui je faisais le compte-rendu de ma journée. Un mets de dépannage témoin de mes défaites, mes bonheurs succints. Il me rappelle les longues minutes avant le train de 21h17, à feuilleter un Public ou un Closer, ou à taper un texto sur mon Motorola à clapet. Il me rappelle les fous rires avec les potes du lycée quand on prenait un semi ensemble pour aller voir une expo au Luxembourg, zoner au Salon du Chocolat ou juste boire un verre « sur Paris ». Les chips Lay’s au barbecue me rappellent l’époque où j’avais encore de long cheveux roux, des pantalons bootcut avec des escarpins pointus, une besace Pucca, une veste en velours. L’époque où j’allais baver devant les fauteuils gonflables vendus au magasin Why à Châtelet.
Interlude : pendant un an, les sachets de Lay’s au barbecue ont été remplacées par les arancini al ragù de toutes les succursales de Catane.
Le sacrosaint sachet de chips n’est pas revenu immédiatement dans ma vie. Il attendu un peu. Mais il était là, prêt à émoustiller mon palais, à m’épauler durant d’autres interminables trajets de train. Noisiel-La Défense, Noisiel-Nanterre, Nanterre-La Défense, La Défense-Noisiel. Terminer à 20h chez Levi’s, passer l’aspirateur dans toute la boutique, rentrer. Regarder Nip/Tuck dans ma petite chambre. Penser à Marco en respirant mon coussin Clochette. Attendre mille ans un rendez-vous avec Mr Dufrêne pour parler de mon mémoire : « Mais pourquoi vous ne traitez pas le côté cinématographique dans l’oeuvre de Matthew Barney ? ». D’autres escarpins pointus, d’autres bootcuts, des Converse à flammes violettes. Les vacations à l’hôpital. Le stage au FRAC. Deux transiliens, la ligne 4, la ligne 11, la rue Fessart, médiation culturelle et hop, chemin du retour, avec mon gros trieur dans mon cabas à pois. L’époque où je regardais Les Experts en étant à fond. Une soirée devant Auchan à débriefer des trucs avec La Peluche.
Je crois que j’ai arrêté de calculer les Lay’s au barbecue quand je suis venue habiter à Paris. J’ai pris un train et je les ai laissées dedans.