Les Lay’s au barbecue

C’était il y a deux semaines environ. Gare de Plaisir-Grignon, vers 18h. Le hall était vide. Le distributeur de boissons et victuailles était le seul à prendre la lumière, cela lui donnait presque un charisme de vedette. Je l’ai regardé. Il m’a regardé. En son sein, une star de mes années fac : le sachet de chips Lay’s au barbecue. Un sacré personnage, qui m’a accompagné de nombreuses fois dans mes trains de retour vers les Yvelines. Montparnasse-Plaisir-Grignon, Montparnasse-Plaisir les Clayes, Montparnasse-Villepreux, tout ça. J’ai eu envie d’en taper un, en souvenir du bon vieux temps. Et puis c’était l’heure de l’apéro après tout. Et puis pourquoi pas. Je suis donc allée demander mon vieux pote à la machine et je l’ai entamé.

Dès la première chip, une foule de sensations et de souvenirs sont remontés à la surface. D’abord, la texture fine qui craque vite sous la dent. Puis le parfum chimique de cette saveur inégalée sur la langue (ne me parlez pas d’autres goûts de chips svp) (bon ok dérogation spéciale pour les Pringles Sour Cream & Onion, mais c’est tout, négociez pas). Enfin, une cohue d’images des années 2000 dans ma tête.

Les quais de trains. Plaisir-Versailles, Versailles-La Défense, La Défense-Nanterre. Les correspondances ratées, les trains annulés, les cours magistraux déjà commencés. Les quais la nuit le matin tôt, les quais la nuit le soir tard, après le cours de grec de 18h30-20h30. Les couloirs de la fac, les journées sans pause dej, les après-midi à la BU, la queue devant les photocopieuses du Centre Pompidou, les photocopies surlignées dans le train. Les escapades à Paris, les visites de galeries d’art découvertes dans 20 Minutes. Les mots fléchés dudit 20 Minutes faits dans le RER (ou durant l’option art précolombien). Les virées à la bibliothèque Forney, les livres demandés sur des petites fiches. Les mille métros pour aller à Montparnasse pour rentrer à la maison. Mon job à La Carterie. Promener le chien dans la résidence. Le Centre Commercial les 4 Temps La Défense, le temps passé chez Zara et H&M au lieu d’aller en cours d’art vidéo. Les escarpins roses achetés suite à ma rupture avec le théâtreux. Les CM, les TD, le bâtiment D, les options choisies au secrétariat. Ecouter de la musique dans un mp3. La carte d’étudiant. La carte Imagin’R.

Tous ces allers-retours entre chez moi et la fac, la fac et chez moi, la fac et La Carterie, La Carterie et chez moi ont été ponctués de nombreux encas. Des croissants, des pains au chocolats, des sandwichs de La Brioche Dorée, des sandwichs de chez Paul, des Mcdo à la pelle, des Kinder Bueno….mais aucun, AUCUN, n’a autant compté que le sachet de chips Lay’s saveur barbecue du distributeur. C’était mon goûter, mon dîner, mon compagnon de rentrage. Celui qui comblait mes petits creux, celui avec qui je faisais le compte-rendu de ma journée. Un mets de dépannage témoin de mes défaites, mes bonheurs succints. Il me rappelle les longues minutes avant le train de 21h17, à feuilleter un Public ou un Closer, ou à taper un texto sur mon Motorola à clapet. Il me rappelle les fous rires avec les potes du lycée quand on prenait un semi ensemble pour aller voir une expo au Luxembourg, zoner au Salon du Chocolat ou juste boire un verre « sur Paris ». Les chips Lay’s au barbecue me rappellent l’époque où j’avais encore de long cheveux roux, des pantalons bootcut avec des escarpins pointus, une besace Pucca, une veste en velours. L’époque où j’allais baver devant les fauteuils gonflables vendus au magasin Why à Châtelet.

Interlude : pendant un an, les sachets de Lay’s au barbecue ont été remplacées par les arancini al ragù de toutes les succursales de Catane.

Le sacrosaint sachet de chips n’est pas revenu immédiatement dans ma vie. Il attendu un peu. Mais il était là, prêt à émoustiller mon palais, à m’épauler durant d’autres interminables trajets de train. Noisiel-La Défense, Noisiel-Nanterre, Nanterre-La Défense, La Défense-Noisiel. Terminer à 20h chez Levi’s, passer l’aspirateur dans toute la boutique, rentrer. Regarder Nip/Tuck dans ma petite chambre. Penser à Marco en respirant mon coussin Clochette. Attendre mille ans un rendez-vous avec Mr Dufrêne pour parler de mon mémoire : « Mais pourquoi vous ne traitez pas le côté cinématographique dans l’oeuvre de Matthew Barney ? ». D’autres escarpins pointus, d’autres bootcuts, des Converse à flammes violettes. Les vacations à l’hôpital. Le stage au FRAC. Deux transiliens, la ligne 4, la ligne 11, la rue Fessart, médiation culturelle et hop, chemin du retour, avec mon gros trieur dans mon cabas à pois. L’époque où je regardais Les Experts en étant à fond. Une soirée devant Auchan à débriefer des trucs avec La Peluche.

Je crois que j’ai arrêté de calculer les Lay’s au barbecue quand je suis venue habiter à Paris. J’ai pris un train et je les ai laissées dedans.

Rome

Je ne retiendrai de Rome que ce que j’étais venue chercher : le coucher du soleil sur la Place d’Espagne, le panorama de fin du journée au Pincio avec l’homme qui fait des bulles, les puces de Porta Portese.

En fait, j’étais aussi venue chercher d’autres choses, des choses que je n’ai pas trouvé, ou plutôt retrouvé. Des souvenirs, comme d’habitude. Des souvenirs qu’on cherche comme on chercherait ses clés ou ses lunettes, en sniffant partout, en faisant mille fois le tour de soi-même avant de finir par abandonner.

À Rome j’étais venue chercher le forum romain au tramonto. Je n’ai pas été. J’étais venue chercher le Colisée sous une chaleur de folie. Je l’ai entraperçu en bus, de nuit. J’étais venue chercher le pont du clip de Giorgia, le ghetto, Trastevere. La musique à tue-tête en voiture. Les colombes de la place Saint-Pierre. Les fresques de Michel Ange. Tout s’est décoché tout seul de ma liste mentale. Il faisait trop chaud. J’avais la flemme. J’ai juste été chiner avec Linda puis nous avons trainé ensemble en culotte chez elle, à se raconter dix ans de vie sans s’appeler. J’ai mangé du Galbanino dans la cuisine et bu des ristretto sur la nappe, j’aime bien cette ambiance.

L’atmosphère dehors était trop étrange. La Piazza di Spagna une nuit de l’an 2000 comparée à une après-midi déclinante d’août 2020 : l’upside down. Je me souviens que ça fourmillait de gens, de bruit, de cette lumière jaune de lampadaire, de ces boutiques qui nous faisaient péter un câble avec mes copines, Fornarina, Extyn, Phard, Miss Sixty. 

Là, y’avait personne pour regarder ma jupe bleu gris ou me demander ce que je faisais ici. C’est toujours quand on part en vacances avec l’envie de fabriquer des histoires qu’on rentre bredouille. Pas une anecdote, rien. Pas même un povtype qui lit un poème cryptique dans un coin. Juste les rues vide, la chaleur, les allées du Mercatino – tout ceci ponctué de nourriture de qualité (sauf un plat de pâtes scandaleux mais je préfère passer cela sous silence). La Piazza Navona ressemblait à une coquille vide, un Polly Pocket sans ses personnages. J’ai quand même trouvé un peu de vie à Campo de Fiori et au Pigneto, ainsi qu’une pasta cacio e pepe inoubliable.

En fin de compte, j’ai fait ce que je voulais faire : me balader et manger. C’est juste bizarre quand le songe n’est pas à la hauteur. Il faisait surement trop chaud pour rêver.

Les bouteilles d’eau

Les bouteilles d'eau

Quand on me demande quel est le pire job que j’ai jamais fait dans ma vie, je réponds « les bouteilles d’eau ». Pas torcher le cul des vieux à l’hôpital ni être enfermée dans un guichet au Jardin des Plantes ni être force de vente chez Levi’s. Non. Je dis « les bouteilles d’eau ».

C’était en 2008 ou 2009. J’étais vendeuse aux Galeries Lafayette à côté des mes études (j’essayais de me persuader que j’allais boucler un Master, lol). J’habitais une chambre de bonne à Barbès et je revoyais ma copine Léo que je connais depuis le CM1. Léo travaillait à l’accueil d’un immeuble très chic, proche de l’Avenue Montaigne, qui louait des espaces à des sociétés pour des séminaires. Elle devait aussi installer les salles le matin et les ranger le soir. Comme ils avaient besoin d’intérimaires, elle m’a proposé de venir aider. Travailler ensemble (deux fois plus d’occasions de glousser) + avoir un bifton en rab : j’ai dit oui.

Elle m’a arrangé un rdv avec son chef, qui était un bourge avec un nom de bourge, un polo de bourge, une frange latérale ondulée de bourge, et des lunettes de vues de bourge. Il s’appelait genre, Jean-Benoît. Lors de cette première entrevue, il m’a dit « J’adore la cooptation ». Je voulais pleurer de rire : JB, tu m’embauches pas pour être ton bras droit, mais pour ranger des salles de séminaires. C’est-à-dire pour remettre les chaises derrière les tables, déplier le projo, sortir des stylos Bic et mettre des Cristaline 33cl sur des petits napperons individuels. Je t’en foutrais des cooptations.

J’ai commencé rapidement et je faisais des vacations du matin et du soir. Le matin (à 6h) il fallait préparer des corbeilles de mini viennoiseries et des cafetières de 3 litres, et répartir tous ces bails sur six étages. Ce gros racho de JB avait compté exactement UNE mini viennoiserie par personne. Sachant qu’avec Léo on en mangeait au moins deux chacune et que personne ne se satisfait d’un seul mini croissant, je vous laisse imaginer la situ. Il n’y en avait jamais assez. Les employés qui suivaient les formations venaient se plaindre toutes les 5 minutes à l’accueil « Euuuh excusez-moi, y’a plus de viennoiseries, ce serait possible d’en avoir d’autres ???? » (Mais eux aussi. Vous venez apprendre à utiliser Excel ou vous bafrer ?).

On tractait le petit-dej d’un sous-sol sordide où les cafetières étaient alignées sur une étagère et débordaient les unes sur les autres. Pendant que le café coulait, j’avançais sur une enquête de Camilleri, et l’autre collègue, qui portait des bottes blanches, me regardait mal (quoi je peux pas lire un livre ? Faut que je regarde le café goutter ?).

En tant que chef d’entreprise, Jean-Benoît veillait au bon fonctionnement de cette organisation au couteau. Il parcourait les étages muni d’un talkie-walkie :

« JB pour Léo, je répète, JB pour Léo. Y’a plus de jus d’orange au 3ème et la salle LOURDES demande des Stabilos. Merci »

« JB pour Anaïs. JB pour Anaïs. Il y a une cafetière qui s’est renversée au 6ème et il faudrait remettre des viennoiseries. »

Qu’est-ce qu’il nous agaçait avec son talkie-walkie de Tortue Ninja. Le mec se prenait pour Tom Cruise dans Mission Impossible.

Le soir, on rangeait, et on remettait des bouteilles d’eau. On trouvait des salles avec des installations en U, des balles de couleur et des schémas de l’enfer au tableau, de type jeux de rôles entre managers et managés. On se demandait s’ils étaient à fond où s’ils venaient juste manger des mini pains au chocolat et péta des stylos.

Pendant le laps de temps où j’ai officié aux bouteilles d’eaux, je n’avais pas de vie. J’allais soit en cours soit aux Galeries soit les deux, et matin et soir j’étais dans le 8ème. J’allais souvent dormir chez Léo, et bien sûr on se couchait tard en rigolant devant Confessions Intimes. Quand on en avait fini avec les viennoiseries, je faisais Champs-Elysées Clémenceau-Barbès, je me refoutais au lit toute habillée, je dormais jusqu’à 17h puis je comatais jusqu’à ce qu’il soit l’heure de remettre cette robe Bershka pour retourner chez JB.

Un jour, l’ascenseur était en panne. Je ne sais pas comment on a fait mais on l’a fait. On a installé et cleané le petit-dej pour 6 étages de gens venus suivre des formations CEGOS (une personne a une fois prononcé « céjosse » à l’accueil, à date nous pleurons toujours de rire en y repensant). Puis l’ascenseur s’est remis en route. J’avais une cafetière dans une main et un plateau rempli de doss dans l’autre main. J’ai appuyé sur le bouton Otis de l’ascenseur avec le bec de ma cafetière, hagarde, avec ma robe Bershka, ma frange de Zaz, et l’eye-liner d’hier mal démaquillé. Quand on s’est rendues compte de ce que je venais de faire, nous avons eu le plus gros fou rire de toute notre vie (et une fois encore, à ce jour, nous nous pissons dessus à l’évocation de ce moment).

JB avait entrepris de me faire approvisionner les toilettes des six étages en rouleaux de PQ. Ce qui ne me plaisait guère, j’avais été embauchée pour m’occuper de petits-déjeuners et de bouteilles d’eau. En fait, il avait pas de personnes de ménage à ce moment-là et il voulait tirer sur la corde. Je l’ai fait une ou deux fois, mais quand il a recommencé à me missionner sur le PQ, j’ai dit non. Et j’ai dit que c’était pas stipulé sur mon contrat (quand j’y repense je suis mdr, je sais pas pourquoi ça me soulait autant, au point où j’en étais) (je me rends compte que ça fait longtemps que je négo avec les n+1 en fait ahah).

Il a dit « Ah bon, tu veux pas faire les rouleaux de PQ ?? * tout rouge*

« Non ».

Fin de l’histoire.

Il a fulminé et il a plus demandé. Ah t’es content de m’avoir coopté hein ?

Por fin, j’ai eu la grippe et j’ai pas pu y aller pendant quelques jours. Quand je suis revenue, JB m’a fait un sketch de personne triste et contrite, à coups de « Ah tu es là toi » et autres « Tu m’as abandonné ». Comme si je lui avait fait le pire sale coup, genre annuler la fusion de Newman Entreprises et Jabott Cosmetics au dernier moment, puis que je venais au bureau reprendre mon double décimètre et une plaquette à mon nom dans un carton de taille médiane. Bien sûr. Ça coule de source (vous l’avez ?).

Ferdinand et une poule

Comment ça va vous ? Moi ça va. Je me couche à 3 du, je passe trop de temps sur « les écrans », je fais des rêves dignes de L’Histoire sans fin toutes les nuits, je me lève tard et je me sens sale, j’ai l’impression que la procrastination m’a colonisée et que c’est moi qui habite chez elle. On a dit qu’on se mettait pas la pression, mais je culpabilise quand même. À date, effectuer une douche, une vaisselle et un mail/jour relève de l’exploit sportif. Les trucs sur lesquels j’aurais pu m’avancer pendant cette période (le code de la route et fabriquer un site internet) se sont envolés au purgatoire de « Je le ferai plus tard, là je mérite plutôt de manger un carré de chocolat en triant un tiroir ou en regardant un épisode d’Outlander »; environ en semaine trois. MAIS, les portes et les placards sont reluisants.

Une copine m’a demandé récemment si j’avais découvert quelque chose sur moi-même pendant le confinement et j’ai répondu « rien ». En fait si. J’ai commandé un tapis de yoga parce que je pouvais pas pratiquer sur ma serviette Petit Bateau sans glisser, et j’ai découvert que je pouvais faire du yoga à la maison. Ok je me cogne partout et je me dandine comme Heimlich de 1001 pattes mais c’est mieux que rien. Je pensais que c’était impossible au vu de l’espace dans lequel je vis. Parfois la place il faut la faire.

J’ai pas l’impression d’avoir fait grand chose et en même temps plein de choses quand même. J’ai fait une liste que j’ai patafixée au mur et j’ai rayé que deux trucs : « ranger cintres » et « écrire éditions trucmuche » (les éditions trucmuche m’ont pas répondu) (c’est pas grave). Donc ouais j’ai rangé mes 700 cintres que j’avais acheté pour le Salon du Vintage. J’ai aussi rangé des jouets et des bulletins de 4ème. J’ai relu mon journal intime de 1998 et j’ai beaucoup ri. J’ai fait des scones et des pesto d’asperges. J’ai pensé. J’ai pleurniché. J’ai regardé par la fenêtre en pensant à la Sicile. Je n’ai pas lu 17 livres.

On a maintenu l’atelier d’écriture par Skype, avec une petite nouvelle, Marie-Pierre. La semaine dernière, le thème c’était les objets favoris/fétichisés. Carla a écrit une histoire de mec intitulé Ferdinand, obsédé par sa poule, elle-même obsédée par une vieille clé. J’ai bien rigolé. Gérard a parlé d’un couteau. Ça m’a pas étonnée et ça m’a rappelé le laguiole de Poupoune. Poupoune, il avait son laguiole nacré bleuté et sa serviette de table. Il avait son pti verre de vin. Sa cabane pour faire de l’encadrement. Ses cannes à pêches. Son camion. Ses savates. Il mangeait des trucs immondes (du lait avec des quignons de baguette rassis, des oreilles de cochon, de la cervelle, des tripes) et il chantait des chansons paillardes. Il me manque. Des tas de gens me manquent.

Moi j’ai écrit l’histoire d’une CB Hello Kitty et Fabienne a dit « Ah bon tu dis « cébé », c’est bien un truc de jeunes ça » (j’adore être la jeune de la bande).

Hier on devait décrire une émotion sans la nommer et sans utiliser des synonymes trop obvious. J’ai hésité entre l’amour et la nostalgie, mes deux sentiments prefs, et j’ai fait une sorte de long poème, pour décrire le sentiment amoureux au tout début, quand t’es encore dans le flou et que tout est possible et que c’est aussi excitant que flippant.

Ils ont rien compris.

J’ai expliqué, mais Gérard mange pas de ce pain-là. « Je suis qu’un garçon, c’est trop compliqué pour moi », qu’il a dit. Je sais pas si ça me touche, parce que Gérard est touchant (à chaque instant je voudrais le prendre dans mes bras) ou si ça m’énerve : les sentiments c’est que pour les filles ?

Peut-être que j’aurais du parler de faire du vélo à la campagne, là il m’aurait adoubée (Gérard a grandi à la ferme).

En ce qui concerne Fabienne, elle s’impatiente comme une enfant.

Quoi un été sans vacances sans chorale sans tango sans marché sans spectacles ?? Elle est déjà en train d’envoyer les invitations cartonnées pour « un rassemblement de moins de dix personnes ».

« Vas-y mollo » lui a dit Marie-Pierre.

Le théâtreux

Gerard Depardieu Cyrano de bergerac

Il m’arrive souvent d’oublier le théâtreux. Quand je fais l’inventaire mental des mecs avec qui je suis sortie à l’époque du lycée (et y’en a pas eu beaucoup) (deux), j’oublie souvent cette histoire. Peut-être qu’elle n’a pas duré assez longtemps, que c’était juste une erreur de parcours un peu cocasse. Non, j’exagère. Je l’aimais bien. Il était gentil. Et il était drôle. À sa manière. Ahah.

Il s’appelait Adrien Mansart-Dos Santos. Je l’ai rencontré à un anniversaire. On avait organisé une fête surprise pour mon amie Emilie, et il y avait tous ses copain.es du conservatoire. Un jour, mon pote Loïc m’a dit : « De toute façon toi t’aimes que les phénomènes ». Il avait raison, surtout sur ce coup-là. Adrien était un vrai olibrius. Les cheveux longs avec la raie au milieu, une façon d’être un peu théâtrale, un style vestimentaire à la fois suranné ET à la ramasse. Comment j’ai été séduite ? Parce qu’il m’a parlé de mythologie. Qu’est-ce qu’on peut être gourde des fois…

Discuter de livres, de mythologie, de légendes, d’histoire et d’auteurs illustres avec un mec, alors qu’on avait genre 19 ans, ça me paraissait incroyable. Je me voyais dans un roman où les gens s’appellent Jane, John, Mrs Gillis ou Miss Joséphine; où se faire la cour correspond à des lectures toutes en retenue et des conversations trop polies. Et j’aimais ses cheveux. Et j’aimais les phénomènes. Et il avait un joli sourire.

Je ne cache pas que sa personnalité ampoulée – oui, toute sa personne était ampoulée, les camarades de classe pourraient vous le dire, je ne mens pas – me mettait parfois mal à l’aise, mais vous savez bien, avec les yeux de l’amour les choses malaisantes peuvent se transformer en mignonneries. Ce soir-là, il a dansé alors qu’il avait dit qu’il aimait pas danser. Ok, je note.

La drague avait eu lieu mais on était tous les deux handicapés, on savait pas trop quoi faire pour donner suite (franchement il avait qu’à m’envoyer un cocher avec une lettre cachetée, non ?). Je pense que nos amis nous ont un peu aidés. Loïc m’a téléphoné et m’a dit « Adrien t’aime bien, il va t’appeler ». Quelle excitation ! Quel sentiment agréable que la réciprocité !

Adrien m’a donc appelée et nous avons convenu d’un rendez-vous, je sais plus trop où, dans Plaisir. Sûrement vers le Château ou un truc comme ça. Il est arrivé dans un costume bordeaux, avec une cravate et des chaussettes de sport blanches dans ses mocassins ainsi qu’une serviette en cuir.

« Ah ta soirée de ce soir c’est une soirée déguisée ? »

« Non pourquoi ? »

« Je…pour rien « 

IL ÉTAIT VENU EN COSTUME À NOTRE PREMIER RENCART, je répète, ceci n’est pas un exercice. IL ÉTAIT VENU EN COSTUME À NOTRE PREMIER RENCART.

Mais attention, pas n’importe quel costume. Un costume bordeaux. Moiré. Avec une cravate. Et des chaussettes blanches dans des mocassins. Et un sac en cuir. Rien n’allait. C’était trop drôle.

Quand j’ai annoncé à ma soeur cadette, qui était dans le même lycée que lui (moi j’étais en deuxième année de fac) elle ne l’a pas remis tout de suite.

« J’vois pas qui c’est, y’a pas de mecs en L en plus cette année. »

« Ben si puisqu’il y est. »

« T’es sûre ?? Putain j’vois vraiment pas qui c’est, y’a vraiment aucun mec à se mettre sous la dent parmi les Terminales. »

« Mais siiii, attends je te le décris : il est grand, châtain, il a les cheveux longs. Tu dois bien voir qui c’est vu que y’a pas beaucoup de mecs en TL. »

« MAIS NON JTE DIS PUTAIN ! Y’a qu’un mec là mais c’est un vieux clochard mal habillé, il est affreux, c’est IMPOSSIBLE que ce soit lui. »

« Euh bah si c’est lui… »

———-

Pendant deux mois, Adrien et moi on ne s’est pas lâchés. On se voyait TOUT le temps. Il venait me chercher à La Carterie, on allait dîner chez Pizza Paï et on dormait chez lui à Montigny-le-Bretonneux. À un moment, sa mère s’était absentée pendant un mois et on avait colonisé l’appart. On mangeait des cordons bleus dans le lit, il m’offrait des peluches, c’était super. Néanmoins, il avait un poster du Che dans sa chambre, des chaussettes trouées, des sandales de Jésus sur lesquelles j’ai mis un véto expresse (il a pas compris et on s’est grave engueulés) et il rigolait pas aux petites annonces d’Elie, ce qui m’a beaucoup attristé (je ne peux pas sortir avec un mec qui rigole pas aux petites annonces, le temps et l’expérience me l’ont démontré)…
Nous avions cependant trouvé un terrain d’entente avec Moulin Rouge et le medley chanté par Nicole Kidman et Ewan McGregor, que nous connaissions par coeur. Un soir il m’avait préparé une assiette de framboises en forme de coeur et il m’avait offert des fleurs turquoises parce que c’était ma couleur préférée. Il était vraiment ché-per (mais j’suis pas beaucoup plus nette donc je ne vais pas critiquer) (bon ok je vais critiquer : j’aurais préféré un bouquet de roses).

Après deux mois or so de fusion totale, j’ai commencé à me poser des questions. Je l’avais vu sur scène en match d’impro et c’est vrai que le mec se prenait pour Cyrano de Bergerac. Quelques temps plus tard, j’ai fêté mes vingt ans au château, et je crois qu’il m’a couru sur le haricot. Il était là avec son costume moiré, et il me courait sur le haricot. Alors qu’il n’avait rien fait, bien entendu. J’avais l’impression (enfin) qu’il était à la masse. Il m’avait offert pour mon anniversaire un vieux livre de Shakespeare en anglais, trop fier de sa trouvaille, dans une librairie de Versailles, et j’étais complètement dépitée voire atterrée. Ce qui est drôle c’est qu’aujourd’hui je serais HDK (Hystérique De Kif, une expression inventée par Enora Malagré) si je recevais ce genre de présent. Mais à l’époque, tout ce que je voulais c’était une bague du Manège à Bijoux ou un porte-clé Diddl.

Ce jour-là, j’ai avoué à une de mes copines que j’étais plus trop sûre de vouloir rester avec Adrien Mansart-Dos Santos. Et elle m’a remonté les bretelles : « T’abuses, c’est un mec gentil, vous êtes mignons ensemble, il t’adore, t’exagères, etc, etc ». Alors j’ai fait un brainsto avec moi-même pendant environ, trente secondes, et j’ai décidé de prolonger son contrat. Je me disais c’est vrai, c’est peut-être moi, je suis conne et il est gentil, peut-être que je le mérite pas ?

Quelques semaines plus tard, on se donnait rendez-vous sur MSN pour aller voir Kill Bill au petit cinéma d’Auchan. Je suis arrivée au rendez-vous toute pimpante avec mon débardeur Camaïeu à frous-frous et mes tongs à strass André. Adrien, lui, était en shlag et il regardait par terre (tout en me tenant la main).

« Qu’est-ce qu’y a, ça va pas ? »

« Non, non, ça va. »

« Euhhh t’es sûr, ça a pas l’air d’aller. »

« Non non ça va jte jure. »

« Adrien Mansart-Dos Santos, qu’est-ce qu’y a ??? »

« Bah…en fait… je me disais… je pensais…. Je crois qu’on est mieux amis qu’amants. »

Je. Pardon ???? C’est comme ça que tu largues ta copine à 19 ans ? Ah oui, j’avais oublié, c’était un théâtreux. Un théâtreux avec un certain penchant pour l’hybris, mes amis. Il récitait sa propre tirade, c’était affligeant, et cette situation était horrible.

« Mais, Adrien, on s’est parlé sur MSN y’a genre, une heure, pourquoi tu me l’as pas dit plus tôt ?? Pourquoi t’attends qu’on soit devant le cinéma pour me dire ça ? »

Silence. Il regardait toujours par terre. Puis il a relevé la tête, il était soulagé.

« On peut quand même aller voir le film ensemble si tu veux. »

Fou rire.

J’étais là, furax, en train de demander des comptes, et le mec me plantait là car le film allait bientôt commencer. 

Je me suis retrouvée en larmes sur le parking, choqueR de cette situation absurde, avec mon débardeur Camaïeu à volants, en train de me rappeler que le jour de mon anniversaire j’étais plus trop trop sûre de cette intrigue. Je ne savais pas quoi faire, alors j’ai appelé Nécrose pour me faire consoler et je suis allée boire le thé chez lui.

———-

Avec le temps, le nom « Adrien Mansart-Dos Santos » est devenu une sorte de mème immatériel qui nous fait rire avec Loïc et Emilie. Ils n’en reviennent toujours pas que je sois sortie avec cet énergumène, ils comprennent que je l’aie trouvé mignon et en même temps ils comprennent pas et il me taillent à mort. De temps en temps on le stalke sur les réseaux. Quelques années après cette histoire, on avait découvert qu’il était chef des jeunesses communistes, ce qui lui allait très bien.

Un peu plus récemment, on a découvert qu’il faisait des bols tibétains. Des bols tibétains et des vidéos très flippantes ou « l’univers n’est qu’amour » et il nous « remercie d’être là ». On dirait qu’il est lobotomisé, ou peut-être qu’il a (beaucoup) trop méfu. En plus il est tombé dans le pire travers, celui des sarouels et des chapeaux péruviens. Il vit sûrement d’amour et d’eau calcaire. Sa réputation de mec chelou était-elle une prophétie ? Vous avez une heure.

 

Tesoro Mio – partie 5 : un Paypal de 9€

piazza navonaE Arriverà 
Il sapore del bacio più dolce e un abbraccio che ti scalderà

Partie 1 ici, partie 2 ici, partie 3 ici, partie 4 .

J’ai été à Rome cinq fois.

La première fois, c’était avec ma classe d’histoire de l’art, j’avais 15 ans. On logeait dans des chambrées au couvent de la Trinité des Monts, on draguait Place d’Espagne, on volait dans les plumes des pigeons Piazza Del Popolo. Notre prof nous avait emmené voir l’Extase du Bernin et des toiles du Caravage mais on s’en foutait, il était dépité le pauvre.

La deuxième fois, c’était avec les étudiants siciliens qui organisaient des sorties pour les Erasmus. Il pleuvait des cordes, on avait rien pu faire à part trainer nos souliers crottés dans les magasins et attendre nos contorni pendant mille ans dans les restos.

La troisième fois, on était partis à l’arrache en train avec Marco, on avait dormi par terre chez ma pote Lydia, y’avait des blattes mais je me souviens surtout des fous rires de fatigue qu’on avait eu au Colosseo après avoir marché toute la journée, et aussi que j’étais rentrée chez Gucci en tongs, les pieds noirs sous mon bootcut (qui s’en fout ?).

La quatrième fois, visite de courtoisie juste avant d’aller à Pescara. Le Forum Romain à la tombée du jour. J’y pense souvent. Et Marco qui fêtait son anniv, on n’était pas en biz biz à ce moment-là mais j’y étais, il m’avait saoulée d’ailleurs, avec sa cour d’admiratrices. Un de ses problème dans la vie, c’est qu’il se prend pour Adam Levine.

Cinquième fois : ma fois préférée. Quand j’habitais à Catane, j’avais un poster de Vacanze Romane dans ma chambre. Avec Marco on adorait cette esthétique vintage et le romantisme des deux personnages parcourant la ville en Vespa. C’était sans doute pour ça qu’on étais allés chez Lydia sur un coup de tête un soir d’ennui.

Ce cinquième séjour à Rome, chez lui, à arpenter la Città sous le soleil et fabriquer des aventures, c’était Vacanze Romane. Et comme toutes les vacances, à un moment, ça prend fin.

Mais j’étais déterminée. Je ne voulais pas lâcher.

Mmmmm on était en avril ? Ok, il fallait organiser une rencontre d’ici un ou deux mois. J’avais envie d’aller à Londres, et lui aussi je crois.

« Tu veux aller à Londres ? On s’y rejoint dans un mois, un mois et demi ? »

« Non ho soldi. »

« C’est pas grave, je te paye le billet on s’en fout. »

« Mmm veramente no, non ce la faccio, non mi conviene, bla bla bla, bla bla, bla, nanani, nanana. » (*invoque mille raisons de merde*)

« Ah… »

Comme je le dis souvent (mdr comme si c’était moi qui avais inventé ça), un mec qui t’appelle pas, c’est un mec qui veut pas t’appeler.

Un mec qui refuse un week-end de love, billet payé, alors que vous venez de passer une semaine de rêve ensemble c’est quoi ? Horrible : un mec qui veut pas être avec toi (oserais-je dire un connard ?).

Les doutes et les silences, je ne pouvais plus les ignorer.

———-

Passage de l’Industrie, salon d’Élo. Avec sa soeur Caro on mangeait des pâtes, c’était une de nos activités favorites entre un free et un apéro au Mauri7. Il faisait beau. Je racontais les réticences de Marco à Carla par texto. Je sentais qu’elle faisait de la rétention d’infos, mais elle a fini par ouvrir les vannes. Elle a même carrément lâché un Littré dans le pédiluve :

« Votre relation, ça lui va comme ça. »

*APPEL CARLA *

« C’est-à-dire ? Ça veut dire quoi ça lui va comme ça ? »

« Bah rien, il t’adore, ça lui va de coucher avec toi de temps en temps, que vous gardiez de bons rapports, que vous vous voyiez de temps en temps. Mais il a pas l’intention de s’investir plus que ça, il me l’a dit. »

*Drop the pâtes*

J’ai lâché les macaroni au grana et je suis aller pleurer à la fenêtre de la cuisine. Fils de yéti malfaisant. Comment il pouvait me faire une chose pareille ?
J’ai dit à Carla, « Désolée mais je vais te poukave, je vais l’appeler. »

Il m’a fallu deux ou trois jours pour rassembler mon courage. Je l’ai appelé un soir, au velux. Je n’ai pas réussi à lui parler en italien, c’était trop me mettre à nu. Je lui ai tout balancé en français d’une traite, je ne sais même pas s’il a tout compris. En tous cas, il a compris l’essentiel. Que je ne l’avais jamais oublié, que je voulais être avec lui, et pourquoi il avait fait tout ça pour rien ?

« Écoute, je t’ai aimé. J’ai été amoureux de toi. Mais je ne le suis plus. Si je l’étais encore je serais déjà en bas de chez toi avec un bouquet de fleurs. Et ce n’est pas le cas. »

Fin de l’histoireeeee. Pour me soigner j’ai fait comme je faisais à l’époque : Public, Closer, junk food, Le Temps d’un Automne (l’ordre n’est pas important). J’ai binge-écouté mes chansons d’amour italiennes favorites : Infinito de Raf, Marzo et Gocce di Memoria de Giorgia, Mai più noi due de Dolcenera (je l’ai bien saignée celle-là).

J’ai dit à Marco, « Je veux plus te parler ». Je lui ai plus parlé pendant trois mois. Je lui ai reparlé. Je lui ai redit « Je veux plus te parler ».

Je lui ai reparlé.

C’était passé. On croit qu’on va mourir, on pleure toutes les larmes en serrant très fort son oreiller, on se demande si on va vivre quelque chose d’aussi intense. Et puis ça passe.

Moi : « Tu as quelqu’un ? »

Lui : « Je ne te dis plus rien en ce qui concerne ma vie sentimentale. »

J’ai eu des petites histoires, des crushs, je suis tombée amoureuse. Un pote de pote, il le connaissait.

Lui : « Ah lui ? Je ne vois pas qui c’est. » (il voyait très bien qui c’était)

Lui : « Ah oui, ok, je vois. » (sale con)

On s’est revus il y a quelques années, très rapidement, devant un taxi qui l’attendait pour aller à l’aéroport. Il avait changé. Il s’était fait refaire le nez. Je le voyais différent, plus sombre. Peut-être qu’il l’était déjà et que j’avais décidé d’omettre cette partie de lui.

———-

Alors, c’est ça, la fin ?

Non. La fin, c’est qu’il m’a acheté des trucs que je vendais, des bibelots vintage. J’ai du le supplier de me faire un PayPal de 9€.

« Tesoro mio tu peux me faire mon PayPal stp ? »

« Attends, j’ai pas le temps, je suis en shooting et tout. »

*Une semaine après*

« Tesoro mio, tu me fais mon virement steupl ? Je vends des trucs, c’est mon nouveau travail, c’est pas cool de me faire galérer. »

« Oui, c’est bon ok, calme-toi, je vais le te faire dès que j’ai le temps ».

Voilà. On aime quelqu’un à la folie et un jour c’est un étranger que vous suppliez de vous faire un PayPal de 9€. Si on m’avait dit ça en 2005.

Mais la vraie conclusion, c’est que je garde en mémoire le meilleur de tout ça. Les mois de drague, les sorties, les méfaits, les voyages, son rire, ses boucles, ses pulls Paul & Shark, son faciès (jusqu’à ce qu’il se fasse refaire le nez lol), les bons souvenirs quoi. Et surtout le plus important : que c’est le premier keum avec qui j’ai autant ri et qui m’a mis autant à l’aise. Et ça, c’était tout bénèf pour moi, et pour les mecs d’après.

Arrivederci, Marco.

 

Tesoro Mio – partie 4 : Roma

sur la via appia

Piangerai, come pioggia tu piangerai

Partie 1 ici

Partie 2 là

Partie 3 là

Quand Marco est rentré chez lui, j’ai repris mes petites habitudes : je suis retournée lambiner aux Galeries. J’avais même plus envie de faire des embrouilles avec les responsables de plateaux. J’étais à la fois triste et surexcitée, parce qu’il me manquait déjà et que j’étais terrifiée par l’idée de ne plus le revoir; et à la fois je savais, je sentais, que ça ne se finirait pas comme ça. On était en plein milieu du film, et l’arc narratif suivant allait s’ouvrir.

« Tesoro Mio, viens à Rome. »

J’ai pris mon billet sans attendre. Cette fois-ci, pas de mise à pied le jour de la nocturne, j’ai tout simplement séché. Qu’est-ce que c’est une lettre des RH et une remontrance de sous-fifre face à une semaine de vacances avec le mec que vous kiffez plus que tout ?

En attendant, je me faisais un peu draguer par un type rencontré sur un job. Je lui avais roulé une pelle à la fin d’un tournage mais je m’en foutais complètement, c’était pour rigoler. Cependant il était déter m’avait envoyé un bbm le lendemain alors que j’avais pas lâché mon 06. Un soir, j’étais en boule sur le canapé d’une copine dans le 13ème, et je l’ai embobiné pour qu’il vienne me chercher (quand j’y repense j’ai vraiment honte de moi, j’ai eu beau me faire bolosser de nombreuses fois, je me dis qu’il méritait pas ça). J’ai couché avec lui pour me prouver que je pouvais faire ma life en dehors de Marco et je vous le donne en mille ? Ça n’a pas marché. J’avais doublement envie de pleurer (j’ai pleuré), d’abord parce que je ne sentais pas son pénis et ensuite parce que j’aurais aimé que « quelqu’un » d’autre soit à sa place. 

Alors qu’il était en train de se mettre à l’aise sur mon clic-clac, j’ai ouvert mon ordi.

« Tu fais quoi, chérie ? »

« J’ai un article à écrire, désolée. »

« Ah ok »

Thank god il a compris, il a pris son petit blouson et fait les sept étages en sens inverse.

———-

Aprile. Je suis arrivée à Fiumicino le sourire aux lèvres et une cacophonie de Rémy Bricka dans la poitrine. Marco m’attendait, adossé à un pilier. Ray Ban, perfecto, jean de beau gosse, boots de beau gosse, il m’offrait une vue équivalente à Channing Tatum ou Jon Hamm (sur ma propre échelle personnelle bien entendu) et il était CONTENT de me voir. J’ai passé une semaine chez lui à Trastevere. On allait partout en voiture en écoutant en boucle la chanson des Modà avec Emma Marrone, Arriverà.

Je lui avais dit pour le mec du tournage, pour le faire chier un peu. Il s’en foutait.

« Ahouais ? Bah moi j’ai pécho en boîte. »

Je m’en foutais. J’étais avec lui.

J’allais au travail avec lui et on prenait notre petit-dèj au bar, en bas de son bureau. Spremuta d’arancia, cornetto, caffè. Il appelait ses clients, moi j’écrivais des articles pour Brain Magazine. Le reste du temps c’était road trip au soleil. Achats de bondieuseries à San Pietro, Castel Sant’angelo, le Pont Milvius (parce que je voulais voir les cadenas posés par les amoureux, ça me rappelait Tre Metri sopra il cielo). Le Pont Sisto, parce que ça me remémorait La Finestra di Fronte et le clip de Gocce di Memoria, que je connaissais par coeur (et que je connais toujours par coeur). Le Panthéon. La Fontana di Trevi. L’obélisque du Latran. La Piazza Navona, où on a zoné le temps de se trouver un cadeau surprise pour chacun. Le Musée du MAXXI. Les puces de Porta Portese. Il m’avait offert un troll en rollers qu’on amenait partout, on le prenait en photo comme le nain d’Amélie Poulain, on lui avait donné un prénom et on disait que c’était notre enfant, il avait même une page Facebook.

Semaine de rêve, tournée des grands ducs. Pasta ai piselli maison, visite de la villa Hadriana à Tivoli. Notre copine Carla était venue avec nous, elle souriait en nous regardant.

« On dirait deux adolescents. »

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L’ex de Marco était dans les parages. Une superbe blonde aux yeux bleus, une fille brillante. Je la connaissais car elle était venue à Paris quelques années auparavant et Marco lui avait donné mon numéro car elle avait eu une mésaventure et elle connaissait personne. Quand j’y repense, je rigole toute seule : on avait bu un café au Loir dans la théière, avec mon cousin (???) qui était en jogging et qui essayait de lui parler en anglais (fou rire).

Vanessa habitait en face de chez Marco. C’était lui qui l’avait rameutée dans ce quartier avant de la larguer. On avait bu un verre avec elle, c’était weird. J’avais beaucoup d’estime pour elle. Je la trouvais belle, bien élevée, intelligente, je l’aimais bien. Mais j’étais aussi mal à l’aise car je savais qu’elle était en galère et qu’elle voulait le récupérer, qu’elle lui avait demandé ce qui se tramait avec moi.

« Je lui ai dit que ça ne la regardait pas. »

Par ailleurs, cela caressait mon égo que son ex soit en train de se ronger les sangs. Ça me rappelait toutes les filles de la fac qui lui tournaient autour quand j’étais en Erasmus. Il y avait son ex de l’époque; une camarade de classe (qui m’avait dit un jour « Tu as de la chance » après nous avoir grillés); une copine d’enfance; et la petite soeur de sa meilleure pote. Je me sentais à nouveau privilégiée, élue. « Il est avec moiiiiii. »

———-

Le soir où j’étais arrivée à Rome, on avait couché ensemble, obvy, et après il avait balancé :

« Je savais que ça se finirait comme ça. »

« De quoi ? »

« Bah qu’on se retrouverait. Ça ne pouvait pas se passer autrement. »

Vous imaginez ?? Vous imaginez ce que j’ai ressenti à ce moment-là ? J’en avais rêvé pendant six ans et ça arrivait ??

Un soir d’été de 2005, sa meilleure amie avait ironisé sur la mini terrasse : « Je ne crois vraiment pas que ce soit l’homme de ta vie ». Ahouais ? Alors pourquoi six ans plus tard il me disait  « Je savais qu’on se retrouverait » ? Pourquoi il me faisait des pâtes au four, m’emmenait partout en voiture, me disait que j’étais « trop » belle dans l’ascenseur, me choisissait plutôt que la sublime Vanessa ? On était ensemble, on riait, on chantait, on combinait mille trucs, j’avais une robe à pois et du rouge à lèvre rose fuchsia. Je ne pouvais pas la croire.

…ou le pouvais-je ?

La veille de mon départ, on avait passé une après-midi sur la via Appia, allongés dans l’herbe puis assis sur des murets, avec le troll en rollers. Je lui caressais les cheveux, je tirais sur ses boucles, j’évoquais subtilement mes sentiments et je faisais des plans sur la comète. Grand calme derrière les Ray Ban. J’aimais pas trop ça mais je ne voulais pas y penser. C’était trop beau pour être gâché par des doutes et des silences.

Je suis rentrée à Paris.

>> Partie 5

Tesoro Mio – partie 3 : juste une photo de toi

Au Café des Deux MoulinsA un passo dal possibile
A un passo da te

 

PARTIE 1 PAR ICI  // PARTIE 2 PAR LA

Janvier 2011.  La vie suit son cours ainsi : lundi, jeudi et samedi aux Galeries Lafayette. Ligne 2, ligne 12, pointage, quatrième étage. J’arrive en retard deux jours sur trois et je m’engueule avec tous mes responsables. J’en peux plus de ce job, la blague a assez duré. Heureusement, j’ai un hobby qui me met en joie : avec ma pote Elodie, on vend des vêtements qu’on chine. D’ailleurs on ne va pas tarder à s’inscrire à « Viens dans mon dressing ! ». Entre les deux on boit des coups au Mauri7, on écoute les Black Eyed Peas, et on prend le menu à 7€ chez l’indien du Passage Brady (celui qui est de l’autre côté du boulevard). J’occupe une chambre de bonne à Barbès, c’est minuscule mais c’est chez moi. Peut-être même que j’ai fauté avec le proprio.

Marco n’est pas très loin, dans mon Blackberry. Il me sollicite souvent pour tout et n’importe quoi, on dirait que je suis meilleure amie. Ça m’énerve et ça me satisfait beaucoup à la fois. Il veut absolument venir à Paris, soi-disant pour trouver un stage ou un travail, dans la mode ou la communication. Je lui conseille des maisons, je lui donne les quelques contacts que j’ai, mais rien ne semble lui plaire. Je finis par l’envoyer chier : « Écoute, je suis pas Karl Lagerfeld, je peux pas te trouver un stage chez Chanel donc fous moi la paix et débrouille-toi ou écris aux gens dont je t’ai parlé ».

Février. Le projet professionnel de Monsieur n’avance pas.

« Je vais venir quand même, j’ai envie de passer du temps à Paris. »

*Prend immédiatement rdv chez le coiffeur*

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Marzo. Marco débarque dans mon 10m2. J’ai été le chercher à l’aéroport après l’aquagym. Il dort AVEC MOI dans MON lit. J’avais oublié les émotions de ce « premier » soir. Je m’endors en me disant mon dieu mais ce n’est pas possible c’est incroyable je ne peux pas y croire omg que va t-il se passer ?

Là, tout de suite, rien. J’ai peur puis je suis dévastée : une nuit de perdue sur les sept qu’il va passer ici, c’est BEAUCOUP.

Je lui fais faire le tour du quartier : on va manger des burgers au Floors, on retourne au Sacré Coeur, on boit un chocolat au Café des Deux Moulins, excités comme des ados en plein spring break par cette activité inédite. J’ai les cheveux longs et des lunettes rectangulaires, une monture Afflelou de couleur pourpre héritée de ma mère. J’ai les cheveux longs, une frange, des lunettes, je suis dans le café d’Amélie Poulain avec Marco. C’est une comédie romantique.

Je lui présente Elo. Il nous aide pour Viens dans mon dressing, il porte des sacs, me prend en photo avec ma veste pied-de-poule. Je l’initie à M. Pokora, je l’emmène aux Buttes Chaumont. On zone au Starbucks d’Opéra, on traverse le jardin des Tuileries au coucher du soleil. Pendant que le ciel passe du mauve au violet foncé, on écoute ça et ça sur mon mp3. High de James Blunt, ça me fait penser à une vieille pub Vodafone qui passait à la télé en 2005. Je repense à nous au théâtre grec de Syracuse, à la Villa Bellini un jour férié, sur la plage de Fiumefreddo, à l’Achab, devant les camions de panini schifosi* de la gare.

Le quatrième soir, je lui saute dessus en sortant de la douche.

« Tu es sûre ? » (putain j’hallucine, le gars avait fomenté en achetant du blanc et en faisant le lover sur ma couette)

« Sûre de quoi ? »

« Bah après tu vas encore me faire des sketchs et tout. »

« Sérieusement on s’en fout pas un peu là tout de suite ? T’as pas envie  ? »

« Si. »

———-

Le jeudi soir, je vais pas travailler aux Galeries, je suis mise à pied à cause des avertissements. Ça tombe bien, j’ai mieux à faire : pécho Marco comme jaja et faire des trucs mignons avant qu’il parte. Avant son départ, il m’offre le deuxième album de Lady Gaga car il estime que c’est anormal que je n’en possède pas une copie physique.

Il s’en va un matin à 4h. Je le regarde par le velux et je me recouche en pleurant. Ma semaine finit comme elle a commencé : à l’aquagym.

>> Partie 4

Tesoro Mio – partie 2 : le mariage

Le mariage

 

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Après l’anniversaire de Marco et notre rupture, je suis rentrée à Noisiel en petits morceaux. J’vais pas vous mentir, j’ai essayé de moyenner. Je l’ai rappelé. Je lui ai dit :

« Attends je viens faire mon Master 2 en Sicile l’année prochaine »

C’était non.

« Ok je prends mes dispositions pour venir faire ma Maîtrise à Catane asap. Donne-moi 2-3 mois pour m’organiser. »

Niente.

« Écoute, moi je veux juste qu’on soit ensemble. Mais je veux mon propre appart’ et par la suite j’aimerais aussi aller un peu à Rome. »

Nada.

Il voulait pas que je vienne habiter à Catane, c’était trop de pression pour lui. Il avait peur que je me fasse chier, que je trouve pas de quoi faire, que je trouve pas de travail, que je regrette ma décision.

« Non mi prenderò questa responsabilità », qu’il a dit.

Je pense surtout qu’il voulait pas m’avoir sur le dos.

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La vie a continué. Nan j’rigole. J’ai douillé ma race. J’avais plus d’Erasmus, plus de mec, je me faisais bolosser chez Levi’s, j’allais en cours sans conviction aucune. Heureusement que j’avais le magazine 20 ans et l’intégrale de Seinfeld pour me divertir.

J’ai validé presque tous mes cours, j’ai changé de boulot, c’était juin 2006. Le lendemain du dernier exam, je partais trois semaines en Sicile.

Je me souviens avec précision de trois semaines d’éclate totale avec mes copines. Je me rappelle aussi de la chambre d’Alessandra, au bout du couloir, avec son poster géant de Closer. Avec Marco on avait saigné la chanson de Damien Rice qui était sur la bo. Les filles et moi on écoutait en boucle le dernier album de Carmen Consoli, Eva contro Eva, et je regardais le mur en me demandant si j’allais « le » croiser.

Je crois qu’on s’est vus une fois. Son ton par texto était odieux, il est arrivé en retard. On était assis sur les marches d’une église via Etnea, il faisait super chaud, et un badaud est venu nous improviser un poème. C’était aussi malaisant que quand t’as un date pas encore abouti et qu’un manant vient essayer de te vendre une rose. Dieu merci pendant ces vacances-là j’ai eu un plan cul, sinon je serais rentrée ventre à terre, malgré toute la vitamine D engrangée.

2007. Je ne suis pas allée en Sicile. Au lieu de ça, je suis allée squatter chez une copine à Gênes, ou j’ai fait une rencontre bien gratinée; puis j’ai fait accompagnatrice de séjours linguistiques. Je suis allée à Malte, on était vingt mille monos dans la piscine, on a bien ri. En rentrant, on s’est tous ajoutés sur un nouveau bail : Facebook. Quelques mois plus tard, ce qui devait arriver arriva : la friend request de Marco.

J’étais dans ma chambre aux Clayes, derrière mon bureau, le store du velux était à moitié tiré, tout était rangé, rien ne dépassait. J’ai regardé cette demande d’amis en me disant « Meuf, tu sais que si tu acceptes tu es dans la merde, n’est-ce pas ? ». Pendant quelques instants j’ai essayé de me persuader que je pouvais refuser. Puis j’ai cliqué sur accepter.

Il n’avait jamais totalement disparu de mon esprit depuis notre rupture. J’avais pas de copain, et l’IDG m’avait mis à sac. C’était facile de me réfugier dans des souvenirs de beau gosse, de rires et de soleil, de me dire qu’on allait se retrouver un jour en écoutant Mandy Moore.

Sa présence virtuelle n’a pas arrangé les choses. Je l’avais sous le nez et on se parlait régulièrement.

J’ai ensuite procédé au redoublement multiple de mon master, à un déménagement à la résidence du CROUS de Nanterre-Université, un autre déménagement dans une chambre de bonne à Barbès, un ou deux voyages en Sicile.

Et puis il a eu le mariage de Chiara.

———-

Chiara, c’était une amie d’enfance de Marco avec qui j’étais devenue copine. En 2009, elle m’avait annoncé la nouvelle : « Je me marie l’année prochaine, tu viens ». Évidemment il était aussi de la partie.

Septembre 2010. Vol low-cost jusqu’à Bari ou Brindisi, je ne sais plus. Puis train jusqu’à Lecce. Pouvez-vous imaginer mon niveau de jpp lorsque j’étais dans ce train ? Sans doute. Jusqu’au moment X, j’essayais (encore) de me persuader que tout irait bien, que j’étais « juste » « contente » de le voir. La vérité c’est que j’avais du mal à respirer et le coeur qui battait à mille à l’heure.

Jusqu’au dernier moment je pensais que je ne le verrais pas avant le début des festivités, ayant entendu de nombreux « forse », « magari… », « ora vediamo », « aspetta che lo chiamo », etc. Et finalement, on s’est croisés.

« Ciaooooooo » (voix tendre, beauté volée, embrassade serrée, surnom énoncé)

« Come stai ? » (coeur qui dégouline)

Comme la fois où j’ai accepté sa demande d’amis sur Facebook, j’ai pensé « ahahah je suis dans la merde jusqu’au cou. »

Après, il y a eu la sérénade et des offrandes de cadeaux gênants aux futurs mariés et il me semble quelques sketchs faisandés également.

Après, Marco m’a tenu la jambe tout le temps. Et qu’est-ce que tu fais, et t’es sur WhatsApp, et comment ça se passe à Paris, et tu crois que je pourrais trouver un stage, et tu connais Untel, et j’aimerais aller là, et j’aimerais voir ceci, etc, etc.

Le lendemain, j’étais sur mon 31 avec ma robe New Look, mon serre-tête, mes escarpins trop hauts Fornarina et du khôl dans ma muqueuse interne.

La torta del matrimonio

On s’est assis à côté dans l’église et on a gloussé durant les 2h30 de cérémonie (qu’est-ce que c’était chiant mes aïeux, dans les films les mariages durent 5mn ??). Pendant le dîner, je l’ai suivi aux toilettes genre « Vous ici ? ». Je pense qu’il attendait que ça, après on a discuté pendant longtemps dehors et on a même raté le risotto à la truffe blanche du Piémont. Il faisait noir, de gros feuillages exotiques nous entouraient, on était bien habillés, la complicité était intacte (mdrrr grosse bouffonne realness). J’aurais TELLEMENT voulu qu’il m’embrasse.

Une fois tout ceci bouclé, il a pris la tangente direction Lecce avec ses potes et je suis restée la dernière à la villa à attendre d’être ramenée quelque part pour aller prendre mon avion.

Dès que je suis rentrée, il m’a bombardée de messages WhatsApp. Est-ce que j’étais dans la merde jusqu’aux sourcils ? Bien sûr.

>> Partie 3

Tesoro Mio – partie 1 : Marzo

Erasmus a Catania in 2004

Voilà, on y est. L’assignation à résidence m’a donné du temps que je n’arrivais pas à dégager. J’en profite donc pour vous raconter une « origin story » des plus savoureuses. Celle d’un amoureux important. Le genre d’amoureux qui change ta vie et dont tu te souviendras toujours, le genre « histoire comme dans les films et dont l’acteur serait, au hasard, Riccardo Scamarcio ». Le genre amour, haine, intense memories, tout ça.

Cette histoire se déroule à Catane, Syracuse, Rome, et Paris, sur fond de pop italienne des années 2000. Parmi les personnages : un soleil accablant, l’odeur de la sauce au ragù, le goût de la granita à l’amande, les couleurs de la fiera, la spiaggia libera numero tre, la montée de la via San Giuliano, le monastero dei Benedettini, une mini terrasse.

À 20 ans, je suis partie en Erasmus en Sicile. Je ne parlais pas italien mais ça ne m’a pas empêché de communiquer avec mes crushs. D’abord, il y a eu Filippo, un beau roux aux yeux noisette qui m’emmenait aux soirées. Je voulais trop le draguer (je l’ai dragué) mais je me suis fait engueuler par ma coloc : c’était elle qui me l’avait présenté et elle était déjà sur le doss. Doss qui s’est clotûré rapidement puisque Filippo n’était intéressé par aucune de nous deux (quelques années plus tard, j’ai appris qu’il était gay).

Ensuite, je me suis retrouvée à avoir un rencard – je ne sais plus comment – avec un mec bien poli. Un BG qui « allait à la salle » et qui était tiré à quatre épingles. Vous savez le genre de mec nickel de partout, nickel des abdos, nickel des mains, nickel des fringues, de la barbe, des cheveux et de la mentalité. Oui voilà, un mec lisse. Mais j’étais très contente de me faire inviter à dîner par un mec lisse à ce moment-là, c’était assez inédit pour moi sachant qu’avant j’avais daté un mec en jogging Lacoste, un mec qui faisait des bolas, un semi-métalleux et un stagiaire). Je m’y suis rendue fière de mon ootd, un top rose pâle et un ras du cou (oui bon j’avoue, j’avais aussi des ballerines, y’a quoi, c’était en 2004). Un soir, durant la passeggiata post dinatoire, on a croisé mon acolyte de l’époque, une petite poupée espiègle et très jolie dénommée Giulia. Fin de l’histoire : il a kiffé sur elle et j’ai plus jamais entendu parler de lui.

Et puis il y a eu mon coloc. Un type grand, beau et sympathique avec qui on rigolait et on dansait sur les Kings of Convenience dans la cuisine. Quand j’ai dit à mon « acolyte » qu’il me plaisait, elle l’a pécho. Quand j’ai voulu m’attaquer à l’autre coloc, elle l’a pécho aussi (et par la suite elle a aussi pécho le bff du premier coloc) (ahah) (connasse).

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Un jour de janvier, alors qu’on rentrait chez moi toutes les deux pour commettre je ne sais quel méfait (organiser des fêtes, boire mille cafés, regarder MTV en culotte, etc), on s’est fait héler dans la rue par deux types :

« Eh salut les filles, vous seriez pas Erasmus ?? »

Bahoui Duchmol, tu en vois beaucoup des autochtones en tutu sur leurs jeans et Cortez Nike turquoises vernies ? (j’étais étudiante en histoire de l’art, laissez-moi tranquille)

Les deux ragazzi animaient une émission de radio pour les étudiants de la fac, et ils voulaient nous proposer de participer. On y est allées, et après une ou deux séances, la grande asperge qui nous avait poursuivi dans la rue et qui s’appelait Marco m’a envoyé un texto :

« Ça vous dit qu’on sorte tous les 4 avec Giovanni et ta pote ? »

Je dois vous dire qu’à l’époque, les mecs sympa et mignons qui voulaient nous sortir pleuvaient et on n’a pas fait grand cas de ce sms reçu sur mon Nokia 3310. Je m’en souviens encore, on ricanait comme deux connes :

«  Non mais vraiment, qui sont-ce ? Ils sont sérieux ? Nan mais joooor. Des barres, j’ai trop la flemme ».

Quelques semaines plus tard, j’ai rencontré fortuitement la grande asperge en boite, il était avec une fille que je connaissais, on a échangé un peu. Et on s’est recroisés plusieurs fois à l’université. Un café, deux cafés, une sortie, un sandwich sur les marches de Piazza Dante : on a commencé à grave trainer ensemble. On se voyait hyper souvent, on s’achetait la même veste au marché et on paradait avec, on se donnait des conseils crari pour pécho, on s’écrivait « Tu fais quoi ? » dès 9h du matin. Je me rendais bien compte que j’étais amoureuse de lui et que c’était probablement réciproque mais je repoussais l’échéance de la révélation évidemment, car j’étais (et je suis toujours) une quiche .

Le doute a disparu définitivement le jour ou mon coloc m’a hurlé dessus : « ALLO IL T’ACCOMPAGNE A LA GARE A 5H30 POUR ALLER CHERCHE UNE COPINE IL TE FAUT QUOI DE PLUS ??? ». À partir de là, j’ai commencé à ourdir et l’occasion ne s’est pas faite attendre trop longtemps.

L’étape cruciale a eu lieu après un dîner chez moi. Ma grand-mère m’avait rendu visite et on avait organisé une bouffe pour l’occase. Entre deux plats, elle m’a glissé « Il est sympa le couple, là » (Marco avait amené une pote). J’ai répondu « Nan nan Mamie, c’est pas un couple, et j’ai bien l’intention d’en faire mon quatre heures ». Après avoir dit bonsoir à Marco 700 fois devant la porte, j’ai fini par passer à l’action en le tirant par le col et en lui roulant une grosse pelle. La semaine d’après, on dansait un slow sur Michael Bublé dans mon salon.

———-

Ce qui s’est passé ensuite équivaut à une scène de teen movie. Marco a été le premier mec avec qui j’ai été grave à l’aise. On riait de ouf, on faisait mille trucs spontanés, on se déguisait, on partait à Rome à l’arrache en train de nuit, on allait à la plage, on faisait des photos, on chantait à tue-tête, on mangeait des glaces en slip, on niquait dans la douche. C’était le love.

À la fin de l’année scolaire, il est rentré d’Erasmus avec moi. Ça a rendu le truc moins difficile, mais il travaillait à deux heures de chez moi et c’était une bonne grosse galère. Quand je ne travaillais pas de nuit à l’hôpital, je me tapais l’entièreté du RER A pour le retrouver. J’ai fait des milliards de fois Plaisir – Marne-la-Vallée. Il est venu qu’une seule fois.

Plus le temps passait, plus il était pénible. Ma mère me gueulait dessus dès qu’elle avait une seconde (les joyeusetés de rentrer chez soi après un an à l’étranger) et j’avais même pas le droit de me confier à lui. Il avait la flemme de « parler de ça ».

Un jour d’octobre, il m’a dit :

« Faut que je rentre à la maison, je dois reprendre les cours.»

Il avait raison.

Je me suis mise à pleurer.

Il m’a répondu « Pourquoi tu pleures ? ».

Je crois que j’ai commencé à me dire que c’était un connard à ce moment-là.

Je l’ai accompagné au Terminal 3 avec mes p’tites chaussures pointues du marché de Noisiel et des bas résilles, je lui ai donné une lettre. Rentrer toute seule a été terrible. J’ai dormi avec son parfum sur mon coussin Clochette jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’odeur.

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Dès que je recevais un texto sur mon téléphone à clapet, je sursautais. Si c’était pas « Tesoro mio » qui s’affichait, j’avais envie de mourir.
Il m’avait dit qu’il répondrai à ma lettre, et comme c’était pas quelqu’un qui disait « Je t’aime » ou qui se répandait en PDA, je l’attendais avec empressement. Pendant une semaine, je suis rentrée chez moi la boule au ventre en espérant recevoir « la lettre ». Je ne pensais qu’à ça, j’avais du mal à respirer. Le jour où la copine chez qui j’habitais m’a dit « La lettre est là », j’étais à la fac ou chez Levi’s, à l’autre bout du RER, et ça a été le trajet le plus looooooong de toute ma vie.

Le contenu de « la lettre » équivaut à une autre scène de teen movie. Durant sa lecture, je nous voyais tous les deux trainer au kiosque de la fac ou bronzer sur sa mini terrasse en écoutant Raf et Natalie Imbruglia. Il disait qu’il avait pleuré et ri en même temps en lisant la mienne. Il avait dessiné une Tour Eiffel et des feuilles qui s’envolaient. ll disait que je l’avais changé. Il disait qu’il m’aimait.

Un mois et demi plus tard, j’ai fait une folie. J’ai séché mon job chez Levi’s pendant une semaine pour aller le retrouver en Sicile. Ma meilleure pote m’avait prêté des tunes pour prendre l’avion le jour de son anniversaire. J’ai hyperventilé dans mon pull Camaïeu pendant tout le vol et à l’arrivée j’ai presque applaudi. J’avais jamais été autant excitée de prendre le 429 à l’aéroport.

Quand j’ai débarqué dans sa cuisine, je crois qu’il était content.

« Che ci fai qui ? »

On a mangé des involtini à la pistache, des cartocciate alle melanzane, des pizzette moelleuses; on est sortis, on a ri, mais j’étais triste. L’Erasmus était bel et bien fini, il faisait nuit tôt, deux filles de sa coloc étaient sur son dos.

La veille de mon départ, il m’a larguée. On a fait l’amour en pleurant.

À l’aéroport, il y avait Alessandra, Giovanni et Debora. Marco et moi on chialait comme des madeleines, j’étais au bout de ma vie. Je sais plus si je lui ai dit je t’aime, je crois que oui.

J’ai dit « Ricordati le parole di Marzo ». 

J’ai pris le vol de retour avec deux arancini froids que j’ai gobé en 2-2, j’ai demandé un verre d’eau, l’hôtesse m’a dit que non c’était payant. Puis, voyant que je convulsais de sanglots : « Ça va ? »

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